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"Nous ne sommes pas orphelins, nous avons une Mère"
Homélie du cardinal Dominique Mamberti, préfet de la Signature apostolique, à l’occasion de la messe pontificale le 21 mai 2017
En premier lieu, je désire remercier S.Exc. Monseigneur Jean-Claude Hollerich pour ses aimables paroles de bienvenue et saluer également les autorités présentes, ainsi que chacun d’entre vous. Lundi dernier, j’ai été reçu par le Saint-Père, que j’ai informé de ma venue à Luxembourg à l’occasion de cette fête. Le Pape François m’a chargé de vous assurer de sa prière et de vous transmettre sa bénédiction. Comme il le demande lui-même très souvent, n’oublions pas de prier pour le Saint-Père, afin que le Seigneur lui donne toujours courage et force pour proclamer la bonne nouvelle de l’Évangile dans ces temps difficiles.
« Consolatrice des affligés » est l’une des invocations adressées à la Vierge Marie dans les Litanies de Lorette. Marie est fêtée sous ce titre partout dans le monde, entre autres par les communautés de l’Ordre de Saint Augustin, en souvenir des larmes de sainte Monique, ainsi que par le diocèse de Turin et l’Institut de la Consolata, qui a été fondé dans cette même ville sous la protection de la Vierge Consolatrice. Au Grand-Duché, cette fête est liée à la dévotion, introduite par les Jésuites, qui, depuis trois siècles et demi, désormais, accompagne la vie des fidèles. Des siècles de prières, d’intentions déposées aux pieds de la Mère du Seigneur, dans toutes les circonstances, publiques ou privées, solennelles ou cachées, qu’il s’agisse des nécessités des familles ou de la collectivité tout entière. Quoi de plus naturel que de se tourner vers notre Mère du ciel lorsque nous sommes dans la tristesse ou l’angoisse ?
La dévotion à la Vierge Marie est simple et confiante, mais elle n’est pas moins profonde et enracinée dans la Bible et dans la théologie. Afin de la pratiquer pleinement et authentiquement, il faut qu’elle soit nourrie de la foi dans le Seigneur, « Père des Miséricordes et Dieu de toute consolation [1] », pour reprendre l’expression de Saint Paul que nous avons entendue dans la deuxième lecture.
Tout d’abord qu’est-ce que consoler ? La première lecture nous donne le sens de la consolation dans la Bible : La consolation c’est Dieu qui se penche avec miséricorde sur la misère de son peuple, qui souffre l’oppression ou l’exil. Ainsi, le Livre de Jérémie et celui d’Isaïe comportent des parties appelées ‘Livre des consolations’. Mais c’est aussi l’assistance et la tendresse que Dieu montre à ses amis dans les différentes circonstances de la vie, comme souvent le livre des Psaumes en fait écho. On peut dire plus généralement qu’il s’agit du dessein de Dieu pour l’humanité, qui est de lui offrir le bonheur éternel en sa présence. Et la consolation définitive que donne le Seigneur à son peuple, c’est bien évidemment le Christ, qui est salué, lors de la Présentation au Temple, par Siméon, qui « attendait la consolation d’Israël [2] », comme dit Saint Luc, et qui reconnaît ce nouveau-né comme le salut de Dieu [3]. Jésus se présente lui-même comme l’incarnation de cette consolation de Dieu et il la proclame comme désormais accomplie, reprenant les versets du prophète Isaïe : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par l’onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur (…).Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui. Alors il se mit à leur dire : ‘Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture que vous venez d’entendre’ [4] ». Et il proclame : « heureux ceux qui pleurent car ils seront consolés [5] ». « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos [6] ». Toute sa vie, ses miracles, son enseignement manifestent cette consolation et à ses disciples il annonce qu’après son départ, il enverra « un autre Consolateur
[7] », c’est-à-dire l’Esprit-Saint. Il sait, en effet, que ses disciples continueront à souffrir jusqu’à la fin des siècles et auront besoin de sa présence pour ne pas tomber dans le désespoir et les pièges du démon. Le Saint-Esprit nous comble de ses dons ; l’homme cependant, n’a pas besoin seulement de sagesse, de connaissance ou de discernement ; il a aussi besoin de consolation pour vivre. Son cœur est inquiet et, comme dit saint Augustin, il ne trouve son repos que lorsqu’il se repose dans son Seigneur, qui seul peut lui donner courage et soulagement dans ses épreuves, force dans la fatigue, espérance quand l’avenir semble sombre, réconfort quand il sent le poids de la solitude. « Nous avons besoin de miséricorde, de la consolation qui vient du Seigneur. Nous en avons tous besoin ; c’est notre pauvreté mais aussi notre grandeur : invoquer la consolation de Dieu qui, avec sa tendresse, vient essuyer les larmes sur notre visage [8] ».
Cependant, c’est bien justement que nous nous tournons vers la Vierge Marie comme consolatrice des affligés. Comme nous venons de l’entendre dans l’Évangile, nous l’avons reçue pour Mère au Calvaire. Au pied de la croix, elle a partagé avec tant de parents la douleur de la mort de son fils et a vécu ce terrible moment sans cesser d’avoir foi dans la parole du Seigneur. On ne peut donc douter qu’elle a reçu alors la consolation promise aux affligés. C’est là la spécificité de Marie : ayant elle-même vécu cette béatitude de la consolation des affligés, ayant été comblée par la vision de son Fils ressuscité, elle peut insuffler courage et espoir à ses enfants. C’est pourquoi, selon l’expression du Concile Vatican II, « elle brille déjà comme un signe d’espérance assurée et de consolation devant le peuple de Dieu en pèlerinage [9] ». Comme l’a rappelé souvent le Pape François : Nous ne sommes pas orphelins, nous avons une Mère. « Près de toute croix il y a toujours la Mère de Jésus. De son manteau elle essuie nos larmes. De sa main elle nous fait relever et nous accompagne sur le chemin de l’espérance [10] ». Cette Mission elle l’a reçue pour toujours et elle la remplit animée par un amour sans limites pour nous. Saint Louis-Marie Grignon de Montfort écrit : « Mettez, si vous pouvez, tout l’amour naturel que les mères de tout le monde ont pour leurs enfants, dans un même cœur d’une mère pour un enfant unique : certainement, cette mère aimera beaucoup cet enfant ; cependant, il est vrai que Marie aime encore plus tendrement ses enfants que cette mère n’aimerait le sien [11] ».
Nous savons que nous pouvons toujours compter sur l’aide et l’amour du Seigneur et de la Vierge Marie et c’est avec pleine confiance que nous nous adressons à eux. Mais n’oublions pas non plus que nous pouvons et devons nous aussi, dans la prière, consoler Jésus et notre Mère du ciel. Je sais que dans les prochains jours, vous recevrez la Vierge pèlerine de Fátima. Le Saint-Père vient de se rendre à Fátima et a canonisé deux des trois petits voyants, Francisco et Jacinta. La consolation de Jésus et de la Vierge est l’une des dimensions du message qu’ils nous ont transmis.
En 1916, l’année avant les apparitions de la Vierge, les trois enfants avaient eu la vision d’un ange qui les préparait à leur Mission. Un jour, il leur présenta l’Eucharistie, en leur disant : « Mangez et buvez le Corps et le Sang de Jésus-Christ terriblement outragé par l’ingratitude des hommes. Offrez réparation pour consoler Dieu [12] ». Francisco fut très impressionné par cette vision et souvent s’isolait, pour prier et consoler Notre-Seigneur et la Vierge. Et c’est ainsi qu’il mourut : sur son lit de mort, il offrit souvent ses souffrances pour « consoler Notre-Seigneur et convertir les pécheurs [13] ». On retrouve la même aspiration chez sainte Faustine Kowalska, la propagatrice de la Divine Miséricorde : « Pendant l’adoration, Jésus me dit : Sache ma fille, que ton amour ardent et ta compassion furent une consolation pour moi au Jardin des Oliviers [14] ».
De la même façon nous pouvons aussi nous unir à la Vierge Marie dans la prière de réparation et d’intercession : « Vois, ma fille, mon Cœur entouré d’épines que les hommes ingrats m’enfoncent à chaque instant par leurs blasphèmes et leurs ingratitudes. Toi, du moins, tâche de me consoler [15] » disait la Vierge à Sœur Lucie. Il s’agit-là d’une dimension de la prière qui est importante, car elle est signe de notre amitié, de notre intimité avec le Seigneur et la Vierge : ne pas seulement demander, mais savoir offrir notre amour et nos souffrances à Dieu, gratuitement, en réponse à son amour pour nous et pour tous les hommes.
Mais nous pouvons et devons aussi nous pencher sur les misères de nos frères. « Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés ». C’est sur cette Béatitude que se fonde la quatrième œuvre de miséricorde spirituelle : consoler les affligés. Dieu nous réconforte et nous pousse à réconforter les autres : « Dans toutes nos détresses il nous réconforte ; ainsi nous pouvons réconforter ceux qui sont dans la détresse grâce au réconfort que nous recevons nous-mêmes de Dieu ». De fait le Père est l’unique source de la consolation, par le moyen du Christ et de son Esprit. Mais, précisément, tous les baptisés ont reçu l’onction du Saint-Esprit et peuvent donc, à la suite du Seigneur, redonner courage, insuffler des raisons de vivre et d’espérer et aussi de lutter, à tous ceux qui ne voient pas une issue à leurs difficultés et à leurs angoisses.
Il y a tant de façons de consoler les affligés. La première est certainement la prière, car elle est puissante auprès du Seigneur, qui, seul peut consoler certaines douleurs. « Intercéder, demander en faveur d’un autre est, depuis Abraham, le propre d’un cœur accordé à la miséricorde de Dieu [16] ». Et il y a tant d’autres manières concrètes de faire notre possible pour soulager les peines des autres : la compassion, « pleurer avec ceux qui pleurent [17] », comme dit saint Paul, l’exhortation, la solidarité, l’entraide, une visite, etc… Vous savez que c’est l’un des points sur lesquels le Pape François a insisté par la parole et par l’exemple durant le Jubilé de la Miséricorde, rappelant à tout moment l’importance des œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles pour ceux qui veulent être disciples du Christ. Il nous disait, samedi dernier encore, à Fátima : « [Dieu] nous a créés comme une espérance pour les autres, une espérance réelle et réalisable selon l’état de vie de chacun. En “demandant” et “exigeant” de chacun de nous l’accomplissement de son devoir d’état (Lettre de Sœur Lucie, 28 février 1943), le ciel déclenchait une vraie mobilisation générale contre cette indifférence qui nous gèle le cœur et aggrave notre myopie [18] ».
Cette exhortation vaut pour chacun d’entre nous personnellement, mais aussi pour notre Église. La Vierge Marie, comme le dit le Concile Vatican II, est le modèle de l’Église. Prions Marie, pour qu’à son image, notre communauté chrétienne sache offrir amour et réconfort à tous ceux qui souffrent. Qu’elle avance au large pour porter même aux plus lointains la Bonne Nouvelle que Dieu a consolé son peuple !
[1] 2 Co 1,3
[2] Lc 2, 25
[3] Lc 2, 30
[4] Lc 4, 18-21
[5] Mt 5, 4
[6] Mt 11, 28
[7] Jn 16, 7
[8] Méditation du Pape François, Veillée de prière pour essuyer les larmes, Basilique Vaticane, 5 mai 2016
[9] Lumen Gentium, 68
[10] Méditation du Pape François, Veillée de prière pour essuyer les larmes, Basilique Vaticane, 5 mai 2016
[11] Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, n. 202
[12] Mémoires de Soeur Lucie, p. 81
[13] Ibid. p. 162
[14] Journal, 1663
[15] La Vierge Marie à Sœur Lucie, Tuy, 10 décembre 1925 (cf. Mémoires de Sœur Lucie, p. 200)
[16] Catéchisme de l’Église Catholique n. 2635
[17] Rom 12,15
[18] Homélie, Messe de canonisation des bienheureux Francisco et Jacinta, Fatima, 13 mai 2017