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Année B  
6 octobre 2015

Personne n’est bon, sinon Dieu seul ! (Mc 10,17-30)

Lecture du 28e dimanche selon l’approche de la rhétorique sémitique de Roland Meynet

L’évangile de ce dimanche nous présente un homme, fidèle observant des commandements de Dieu, qui s’interroge et va chercher conseil auprès de Jésus.

En ce temps-là, Jésus se mettait en route quand un homme accourut et, tombant à ses genoux, lui demanda : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage » ?(17).

L’évangéliste Marc ne dit pas, comme Matthieu, que l’homme qui accourut était jeune. Mais celui-ci le voit, dès le début. Seul un jeune a de ces enthousiasmes et ce genre de désirs illimités. Il avait gardé la spontanéité de l’adolescence : il court et s’agenouille, il appelle Jésus « bon Maître ».

Toutefois, l’homme de l’évangile de Mathieu veut « avoir » la vie éternelle ; celui de Marc veut l’« hériter » ; il y a un abîme entre ces deux verbes. Il semble que pour lui la vie ne se possède pas, mais qu’elle se reçoit gratuitement comme les biens laissés par le père à ses fils, sans mérite de leur part.

Jésus lui dit : « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Nul n’est bon que Dieu seul. Tu connais les commandements : Ne commets pas de meurtre, ne commets pas d’adultère, ne commets pas de vol, ne porte pas de faux témoignage, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère ». L’homme répondit : « Maître, tout cela, je l’ai observé depuis ma jeunesse ». Jésus posa son regard sur lui, et il l’aima. (20-21)

Après l’avoir, pour ainsi dire, tenu à distance avec sa première réaction, sachant combien il a toujours été fidèle aux commandements, Jésus répond pleinement à son affection : il le regarde et il « l’aime », lui exprimant sans doute son amour par un geste d’affection. La fidélité de cet homme suscite la réaction affectueuse de Jésus. Et ce sera avec ce même amour que le Seigneur mettra à l’épreuve son désir de vie éternelle et sa fidélité aux commandements.

Et Jésus lui dit : « Une seule chose te manque : va, ce que tu as, vends-le, et donne-le aux pauvres, alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi. » Mais lui, à ces mots, devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens (21-22).

Après cette intervention de Jésus tout change radicalement. Une tristesse immense, à la mesure de son enthousiasme, submerge l’homme. Marc insiste fortement : il s’en va, « assombri » et « attristé » (21-22).

Comme Job, dans l’Ancien Testament, l’homme riche dit qu’il est toujours resté fidèle à la loi du Seigneur. Dieu a permis que Job soit éprouvé en étant dépouillé de ses richesses. Job se défend d’avoir aimé l’or et la richesse au point d’en avoir fait une idole (31,24-28) ; au contraire il a utilisé ses nombreux biens pour devenir le père « des pauvres ». (29,16 ; 30,24) Il a rencontré le bonheur et la vraie sagesse (22,21-26).

L’homme qui se présente à Jésus est invité à renoncer à tous ses biens ; cet abandon sera récompensé par le don d’une richesse incomparablement plus précieuse, « un trésor dans les cieux », c’est-à-dire auprès de Dieu. L’homme, par sa réaction révèle son cœur : il n’est pas prêt à laisser tout ce qu’il a pour les pauvres. La seule chose qui lui manque est justement d’accepter ce manque. Cette « seule chose » que Jésus introduit s’oppose clairement à ce qu’il vient de dire : « Tout cela, je l’ai observé dès ma jeunesse ».

Quand Jésus cite le Décalogue (19), il pourrait sembler étrange qu’il se limite aux devoirs envers le prochain ; comme s’il passait sous silence les devoirs envers Dieu, à savoir les commandements qui interdisent toute idolâtrie. Il dévoilera toutefois que le riche est infidèle au premier de tous les commandements : s’il est incapable de sacrifier ses richesses, cela signifie qu’il vit seulement pour elles, comme ce qui le fait vivre et pour lesquelles il vit. Celles-ci sont l’idole dont il n’accepte pas de se séparer.

Malgré son désir de « la vie éternelle », le riche, mis par Jésus devant le choix entre « ce que tu as » et « un trésor dans le Ciel », décide finalement de conserver « ses nombreux biens ». Jésus fait ainsi venir à la lumière que sa parfaite observance des commandements de Dieu ne traduit pas un réel attachement à « l’unique bon » : il garde les commandements de Dieu plus comme une « richesse » que comme la parole de Dieu.

Jésus a refusé dès le début et nettement d’être appelé « bon », parce que « personne n’est bon sinon Dieu seul ». Cependant, Jésus invite le riche à le suivre, du moment que c’est la seule chose qui lui manque. Il lui dit : « viens, suis-moi » (21) Si Jésus peut, sans blasphémer, poser une telle exigence, c’est parce qu’il est entré totalement dans le règne de Dieu, parce que Dieu est pour lui l’unique bon, le bien suprême. Le suivre, c’est entrer dans le même mouvement. Jésus ne prend pas la place de Dieu. Suivre Jésus comme le Fils, c’est aller avec lui, comme des fils, vers l’unique Père. À celui qui aura « tout laissé », biens matériels et surtout membres de sa famille, pour « Jésus et pour l’Évangile », il est promis « cent fois autant », et des « persécutions ». Seule l’histoire de l’Église, depuis les premières persécutions des apôtres permet de comprendre que celles-ci représentent le comble du don reçu (Ac 5,11).

Si Dieu seul est bon, les richesses ne sont pourtant pas mauvaises. Jésus ne demande pas de les jeter, ni même de les brader, mais de les vendre, et d’en donner le juste prix aux pauvres. En faisant hériter ceux qui manquent de tout, le riche deviendra, comme Job, « le père des pauvres ».

Alors Jésus regarda autour de lui et dit à ses disciples : « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! Les disciples étaient stupéfaits de ces paroles. Mais Jésus reprit et leur dit : « Mes enfants, comme il est difficile d’entrer dans le royaume de Dieu ! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu ! » De plus en plus déconcertés, les disciples se demandaient entre eux : « mais alors, qui peut être sauvé ? » Fixant sur eux son regard, Jésus dit : « Pour les hommes, c’est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible pour Dieu » (23-27).

Les disciples sont déconcertés, stupéfaits, ils ne comprennent pas que l’avertissement de Jésus, soulignant la difficulté pour l’homme d’entrer dans le règne de Dieu, signifie en réalité que Dieu seul peut sauver. Jésus doit l’expliciter : « Pour les hommes c’est impossible, mais pas pour Dieu. »

Jésus invite ses disciples de se méfier des richesses (23.25) et à se fier au contraire uniquement à Dieu, le seul qui soit capable de sauver (27). Ils restent perplexes, car sa parole ne vise pas seulement « les riches », mais aussi ceux qu’il appelle « ses enfants », c’est-à-dire les disciples.

Pierre se mit à dire à Jésus : « Voici que nous avons tout quitté pour te suivre ». Jésus déclara : « Amen, je vous le dis : nul n’aura quitté, à cause de moi et de l’Evangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres, avec des persécutions, et, dans le monde à venir la vie éternelle » (28-30).

Pierre ne voit pas vraiment où le fait de suivre Jésus les mènera. Sa demande vise le futur, mais elle est exprimée au passé, comme s’ils avaient déjà fait « tout ». Il est vrai que depuis un certain temps les disciples ont laissé leurs biens et leur famille pour le suivre. Cependant, Jésus, en ajoutant « avec des persécutions », laisse entendre qu’ils ne sont pas encore arrivés au terme : sur « la route Jésus les précède ».

La récompense promise aux Douze n’est pas renvoyée après la mort ou à la fin des temps : c’est « maintenant, en ce temps-ci » (30) ; c’est-à-dire au moment même où ils vivent, où Jésus leur parle, qu’ils reçoivent déjà « cent fois autant » c’est-à-dire beaucoup plus que ce qu’ils ont laissé.

Quant à la récompense future, celle « dans le siècle qui vient », elle est appelée « la vie éternelle » : c’est celle qui ne périt pas, qui dépasse les limites de la vie mortelle. Celui qui a mis sa foi dans le Christ et dans sa bonne nouvelle sait que la mort n’aura jamais le dernier mot ; il croit que la résurrection du Seigneur Jésus a ouvert à tous le chemin d’une vie qui dépasse l’horizon de ce monde. Pour lui la « vie éternelle » représente le don suprême ; d’autant plus qu’il sait qu’il n’est pas l’unique bénéficiaire de ce don, mais que ses proches l’hériteront avec lui.

Le regard des disciples s’arrête au moment présent, « maintenant, en ce temps-ci ». Ils ne sont pas encore capables de voir, au-delà des persécutions, la résurrection pour la vie éternelle. Ils devront faire l’expérience de la résurrection de Jésus pour surmonter leur épouvante et éprouver la persécution comme une joie, préfiguration « maintenant, en ce temps-ci » de la vie éternelle. (Ac 5,41)

Source : Roland Meynet : L’évangile de Marc. Gabalda et Cie, Éditeurs, France 2014, ISBN 978-2-85021-233-8.

Roland Meynet est professeur émérite de théologie biblique de l’Université Grégorienne à Rome, auteur de plusieurs ouvrages et e.a. directeur de la revue Gregorianum.

Charlotte LANGEHEGERMANN
 
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